HOMMAGE AU PHILOSOPHE RIDHA CHAÏBI

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Nous, étudiants en L3 d’IJAZA, à l’Institut International de la Pensée Islamique (IIIT), avons appris avec effroi le décès accidentel de notre professeur Ridha Chaïbi, le 21 octobre 2010, lors de son séjour en Tunisie. Aujourd’hui, plus que jamais, nous voulons nous associer à la douleur de son épouse, de ses enfants et à celle des siens. Nous  soutenons leur courage et leur patience dans cette épreuve difficile. Nos Du’a iront vers eux. La mémoire de ce cher professeur et des heureux moments passés ensemble continuera à illuminer nos existences. R. Chaïbi était de ces hommes de haute droiture, avec une exigence morale importante. Son souci et son effort  furent de faire apparaître la complémentarité des différences, de réconcilier les oppositions, de transcender les divergences. Aujourd’hui il n’est plus là. Mais il nous reste en mémoire sa forte présence, sa générosité, son enseignement. Nous avons eu à faire, à chaque fois, à un cours magistral dans lequel sa pensée propre n’y paraissait pas. Il respectait dans les moindres détails la pensée des grands penseurs.  Sa simplicité faisait de lui un « accoucheur des esprits » de la lignée des grands philosophes.

Une étudiante me rappelle un débat sur Karl Marx dans lequel Fatima était en désaccord sur la notion de partage. Ridha se faisait le chantre de l’argumentation marxiste qui laissait de plus en plus perplexe notre étudiante : «Tout le monde obtient la même chose, peu importe si l’effort fourni est grand ou moindre... ».  Fatima débattit avec Ridha Chaïbi, ne sachant s’il était sérieux ou s’il la provoquait volontairement. Ridha finit par clore le débat en ces termes : « Mais c’est parce qu’il te reste encore de la bourgeoisie en toi ! ». A ce moment précis,  Fatima se sentit désabusée, choquée même !  Ridha continua : « mais non, ce n’est pas moi qui parle, c’est Marx qui dit cela… ».  Il l’avait bluffée. C’était la pensée de Marx lui-même qui se trouvait devant nous ! Jusqu’au bout,  notre professeur n’avait de cesse qu’il ne nous ait transmis avec justesse et passion les pensées philosophiques qui ont fait l’histoire de l’Occident.

Il y a bien un domaine où sa pensée trahissait son combat pour les libertés. Quand il dispensait les cours sur l’analyse de La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.  « Que signifie liberté ? Pour nous aider à y répondre, Ridha passe par deux voies   opposées qui s’affrontent : les pensées du marxisme et de l’utilitarisme. Leur point  commun ? Récuser La Déclaration des Droits de l’Homme. En voici un aperçu :

La distinction marxiste entre les droits des  libertés. La déclaration française des Droits de l’Homme est une déclaration « formelle » pour « reconnaître et mieux dominer ». Ridha nous explique : «Quand on déclare un individu libre de  s’exprimer et quand il s’exprime et contredit les opinions de son patron ou de l’autorité, il se trouve être assassiné car privé de sa vie ou de ses biens, de son emploi. Cet individu agira donc de sorte que ses supérieurs  ne soient pas choqués et fera qu’il leur plaise. C’est une liberté  « formelle ». La seul liberté « réelle » c’est quand l’individu agit sans aucune crainte et ceci ne sera possible que quand on aura supprimé la propriété privée, celle-ci est source de tous les maux humains ».

L’utilitarisme des libéraux : une liberté individuelle sans limite. Pour d’autres raisons que les marxistes,  les utilitaristes considéraient  La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyens comme un « contresens philosophique ».  Le Professeur Chaïbi nous éclaire encore : « On ne pourra jamais donc définir, selon eux, des principes moraux qui seraient universels et prétendre que ceux-ci sont les principes même de la raison « Selon la nature humaine il faut… », « Selon la raison il faut… ». Pendre la raison, la nôtre pour  témoin, est  irrationnel puisque la raison évolue « selon un calcul des plaisirs et des peines » et celles-ci évoluent selon les circonstances et les structures. Parler donc d’une déclaration universelle c’est vouloir se substituer au vrai décideur qui est l’individu. On a plus asservi, par cette déclaration,  l’individu que l’on a libéré ce dernier… ». Il nous obligea  à ouvrir notre esprit ; ce fut bien qu’il le fasse à travers le contenu de cette Déclaration.

Une autre étudiante, F. D., se souvient de sa particularité à provoquer : « Ses interventions parfois brutales auraient pu choquer, braquer mais sa compétence était tellement avérée qu’il n’y persistait aucune réaction négative de la part des étudiants. Sa droiture et sa simplicité, sa capacité d’accueil au sourire radieux, d’un accès facile aux savoirs didactiques  faisaient de lui un être sincère et bon ».  Notre professeur nous aiguisait à la pensée critique avec la finesse d’esprit qui représentait toute sa personnalité.

Le  décret de Dieu voulut que le terme de sa vie coïncide avec l’immense bonheur d’avoir été promu  maître de conférences à la faculté de lettres de l’université de Kairouan (Tunisie). Et comme naguère les Compagnons, ce docteur en philosophie mourut sur le chemin de l’Hijra. Puisse Dieu l’honorer en son sein et continuer à travers nos esprits  l’œuvre qu’il a semée. Ce sera à l’occasion de la remise du diplôme de la IJAZA, qui marque l’histoire de la toute première promo et du lancement du 3è cycle, que tous les professeurs et les étudiants rendront un dernier hommage à notre défunt Professeur  Ridha Chaïbi,  le 1er novembre 2010 à 18h30. Nous pensons, pour l’occasion, baptiser cette promo 2010 par son nom.

Marika EL HAKI

Journaliste islamologue et étudiante à l’IIIT.

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