Vidéo replay de l’émission du 25 janvier 2013 . Marika recevait Beddy Ebnou, un spécialiste de la finace islamique, cliquer sur ce lien : http://edc.radio.free.fr/edc/radio/emission/emi_show.php?emi=isspi&date=2013-01-25&type=B
La finance islamique contemporaine est née dans les années 1970, suite à la première crise pétrolière. En 2005, le FMI récence 300 institutions financières islamiques dans plus de 75 pays. Elle représente quelques 500 Md$ en 2007. Son marché, s’élève à 1000 Md$ aujourd’hui. Le Financial Times, souligne que dans de nombreux pays musulmans, les institutions islamiques sont souvent les plus dynamiques et les plus innovantes[1].
Le système financier islamique est néanmoins plus ancien. Le premier pays à tenter une alternative viable aux banques conventionnelles, par la non pratique de l’intérêt (l’un des principes fondamentaux de la législation islamique), fut le Pakistan, en 1950. Ces essais furent prématurés car la notion de rémunération du capital était absente. Il faudra attendre 1979 pour que ce pays intègre le processus d’islamisation de l’économie graduellement, en trois ans. La grande réforme du système bancaire était : i) l’introduction de la Zakat et du Ushr[2], ii) l’élimination graduelle de l’intérêt en substituant un système de partage des profits et des pertes (PLS).
En 1960 et 1970, l’Iran , à son tour, a tenté l’expérience de la non pratique de l’intérêt. Ces organismes privés, informels n’ont pas pu se développer car la rémunération des prêts sans intérêts ne permettait pas leur développement. La révolution de 1979 y a attaché beaucoup d’importance mais la tentative s’est soldée par un échec à cause du gel des avoirs iraniens par les Etats Unis et de la guerre en Irak. Ce n’est qu’en mars 1983, qu’une loi parlementaire a été votée pour l’application de l’interdiction de la pratique de l’intérêt[3]
Après cette rapide chronologie de la finance islamique contemporaine, nous entrerons dans les conditions qui rendent valides toutes les transactions de cette finance, ce qui fera l’objet de notre premier chapitre; dans le chapitre II, nous parlerons du mécanisme de la Sharia’a board (Madjliss El I’Atimad) qui permet la conformité des instruments financiers avec la Shari’a et enfin, dans le dernier chapitre, nous nous attacherons à illustrer ces conditions par la présentation des différents instruments islamiques (Shari’a compliant) en les comparant parfois avec la finance dite capitaliste ou conventionnelle.
I LES PRINCIPES DE LA FINANCE ISLAMIQUE
Ii) Les piliers de la finance islamique :
Tous les produits islamiques doivent être validés par un conseil de conformité à la Shari’a. Ils doivent respecter les cinq piliers suivants dans toutes les transactions :
1° Interdiction de l’intérêt (riba) ;
2° Partage des pertes et des profits entre les parties ;
3° L’’incertitude (gharar) due à toute spéculation est proscrite ;
4° Toute transaction doit être garantie par un actif identifiable et palpable
5° Interdiction d’investir dans l’alcool, le porc, la pornographie, les casinos et de tout autre spéculation avec des produits ou services jugés intolérables par la Shari’a. C’est en référence au Hadith de Jabir qui rapporte que le Prophète a dit : « Dieu a interdit de vendre le vin, la bête morte, le porc et les idoles. Et la vente de la graisse animale demandaient les compagnons ? C’est interdit également répondit le Prophète. ».
Il est impératif, pour respecter les piliers n°3 et 4, que l’objet du contrat soit transférable à son deuxième propriétaire. En exemple, on ne pourra vendre les poissons dans un lac d’un autre endroit. L’objet doit être palpable et identifiable. La règle qui fait la loi est une analogie par le texte (el hukm al qiyassi) par le Hadith suivant : “le Prophète a dit « ne vends pas et n’achète pas ce tu ne vois pas. N’achetez pas le poisson dans l’eau car sa quantité est indéterminée”. Cette analogie a été portée sur toute transaction qui se situe sur les mêmes caractéristiques. En conséquence pour qu’une transaction soit valide, elle doit être garantie par un actif identifiable et palpable. La finalité de cette interdiction porte sur la vente à risque (bay’ gharar) parce qu’elle peut léser celui qui en hérite. Dans le cas où cette vente a quand même lieu, un autre Hadith limite le risque : Abou hourayra a dit : « j’ai entendu le prophète dire celui qui achète un produit sans le voir, aura le choix de prendre ou de laisser, lorsqu’il le verra ». Les juristes ont toutefois reconnu par nécessité, la validité de certains produits non palpables (le gaz et l’hydrocarbure).
La finalité juridique représente une validité permanente de la conformité des produits. C’est la Shari’a qui en a la charge pour décréter que telle ou telle transaction ne porte pas atteinte aux principes de la Shari’a.
Iii) Les objectifs de la Shari’a et la finalité juridique
La finance islamique est donc une réponse à la fois aux besoins économiques et à la religiosité. Pour être fidèle à ces exigences éthiques, la Shari’a est la « voie », l’accès à la lumière du Coran et de la Sunna. Les prescriptions légales auxquelles les musulmans doivent se soumettre sont aussi bien dans le domaine de la croyance (‘ibadat) que dans le domaine social (mu‘amalat). C’est sur ce dernier que la finance islamique repose. La finalité juridique de cette Shari’a est de repousser le mal et de favoriser le bien, comme le Coran et de la Sunna le préconise.
L’imam abu Hamid al-Ghazali[4] en décrit les contours : «La nature même de l’objectif de la Shari’a est de promouvoir le bien-être de la population, qui réside dans la sauvegarde de leur foi, leur vie, leur intelligence, leur prospérité et leur richesse. Quelle que soit la manière, il est souhaitable sur la base de ces cinq principes d’en assurer l’application afin de servir l’intérêt public ».
Et après lui, Ibn al-Qayyim[5] : « la base de la Shari’a est la sagesse et le bien-être des gens dans ce monde ainsi que dans l’au-delà. Ce bien-être complet se trouve être dans la justice, la miséricorde, le bien-être et la sagesse. Tout ce qui s’écarte de la justice par l’oppression, de la miséricorde par la dureté, du bien-être par la misère et de la sagesse par la folie, n’a rien à voir avec la Shari’a ».
L’Islam interdit explicitement la pratique de l’intérêt ou Riba qui se justifie par des preuves scripturaires dans le Coran et la sunna comme en témoigne le verset 275 Sourate II : «Dieu a rendu licite la vente et a rendu illicite l’usure» et par ce hadith rapporté de Jabir : « le messager d‘Allah a maudit celui qui se nourrit d‘usure, celui qui produit, celui qui enregistre et celui qui sert de témoin. Il a dit qu‘ils sont tous pareils.[6] ».
Compte tenu de tout ce qui a été dit une question s’impose :
En l’absence du taux d’intérêt, comment fonctionne donc la rémunération du capital financier ?
Iiii) La monnaie :
a) Règle juridique :
La monnaie, n’est, du point de vue islamique, qu’un simple intermédiaire et instrument de mesure dans les échanges de produits. A ce niveau elle ne peut générer de la monnaie mais doit servir, dans les transactions financières, comme moyen d’échange tout en ayant une fonction de réserve de valeur. En revanche, elle ne peut produire de surplus que dans la mesure où elle est transformée préalablement en bien réel et non pas virtuel.
b) Fonction de la monnaie :
Sa fonction se réfère aux textes coraniques et aux écrits des juristes musulmans : la monnaie doit servir à : a) un moyen d’échange, b) une unité de compte, c) une réserve de valeur[7]. La monnaie dans la conception juridique qui est légalement l’or et l’argent, s’est substituée depuis des siècles par de la monnaie de papier et scripturale. Cet état de chose a suscité chez les savants et penseurs musulmans contemporains[8] , de nouvelles interrogations et des divergences de points de vues. De ce fait la monnaie contemporaine dite « conventionnelle » a perdu sa fonction de réserve de valeur à cause du risque de dévaluation du papier-monnaie et cause l‘inflation qui touche surtout les pays sous développés. L’or et l’argent font donc l’objet de traitements particuliers chez les juristes musulmans du fait de leur stabilité relative en opposition aux multiple fluctuations de la monnaie-papier.
c) Vers une nouvelle monnaie islamique ?
Les juristes musulmans ont élaboré des concepts, avec des divergences néanmoins mais continuent d’explorer de nouvelles voies pour trouver une unité de « valeur islamique » » plus stable » qui permettrait dans les transactions à terme et les prêts à taux « 0 » (Qard al-Hassan) de ne pas léser le créancier en cas d’inflation et prémunir ce dernier contre les fluctuations. Cette monnaie existe déjà dans le cas de la Banque Islamique de Développement. Son unité de valeur est le Dinar Islamique équivalant à un (01)D.S.T[9] du Fonds Monétaire International. Cette unité de valeur permet le principe de compensation et préserve de la dévaluation de la monnaie. Cette méthode a été reconnue par les juristes contemporains grâce au principe de compensation élaboré par deux hanafites : abu Youcef et Mohammed b. al Hassan Chibani suite à l’introduction de « foulous » (monnaie en cuivre) du temps des ‘Abassides. Ce moyen d’échange perdit énormément de leur valeurs, alors que l’or et l’argent gardait une valeur stable. La solution proposée d’abu Youcef et de Mohammed b. al H. Chibani fut de lier les dettes contractés en foulous à leur équivalent en or, le jour de la transaction. Cela permit au débiteur de rembourser en or sa dette en foulous. Cette idée est défendu par Yousri qui recommande d’élargir cette pratique pour toute la finance islamique.
Il a donc été établi un cadre réglementaire pour le respect de ces principes.
II LE MECANISME (CADRE DE CONFORMITE DE LA SHARI’A)
IIi- Les conditions & règlementation :
Suivant les conditions énoncées précédemment, pour assurer le respect de la Shari’a, la plupart des pays ont adopté la réglementation des institutions islamiques. Cette réglementation se compose de quatre approches majeures :
1. Les produits sont normalisés et définis par le gouvernement,
2. Que ces produits soient approuvés par le conseil de la Shari’a (Shari’a board) de l’autorité de régulation ;
3. Les produits doivent être basés sur les normes de la Shari’a internationale et adoptés par les autorités réglementaires ;
4. Les produits doivent être approuvés par les conseils de surveillance de la Shari’a des institutions financières respectives.
Un cadre de conformité de la Shari’a est donc essentiel pour le succès de l’industrie des services financiers islamiques, il est nécessaire de maintenir la confiance des déposants et des autres parties prenantes dans les offres de la finance islamique. La réglementation des Institutions islamiques du Pakistan en est un bon exemple.
IIii Cas de conformité du Pakistan
Le Pakistan possède un mécanisme financier conforme à la Shari’a. Celui-ci se compose de :
i) un conseil de la Shari’a à la Banque Centrale du Pakistan , ii) des conseils de surveillance au respect de la Shari’a dans toutes les banques qui offrent des services financiers islamiques iii) instructions et directives pour la conformité à la Shari’a, iv) inspection dans chaque banque pour sa conformité.
Quand les produits ont respecté ces principes, on peut alors avoir une finance « saine » et des produits financiers diversifiés attractives dont les différents contrats seront présentés dans ce dernier chapitre.
III LES DIFFERENTS INSTRUMENTS FINANCIERS ISLAMIQUES (Shari’a compliant)
Une fois les produits passés au scripte par le conseil de surveillance de la Shari’a, ils seront lancés sur le marché. Nous savons que l’intérêt est proscrit mais que les transactions avec bénéfices sont licites, que la monnaie ne peut générer de la monnaie. Alors comment créer une marge bancaire conforme à la Shari’a ?
Sukuk : c’est un produit obligataire qui est à la finance islamique ce que les Asset Backed Securities (ABS) sont à la finance conventionnelle. Il a une échéance fixée d’avance et est adossé à un actif permettant de rémunérer le placement en contournant le principe de l’intérêt. Les Sukuk sont structurés de telle sorte que leurs détenteurs courent un risque de crédit et reçoivent une part de profit et non un intérêt fixe, commun à l’avance comme dans un ABS. Les produits dérivés des Sukuk peuvent être représentés par des contrats tels l’Ijara, la Musharaka ou la Mudharaba. On peut d’ors et déjà remarquer que le volume de Sukuk émis et noté ainsi que le nombre de banques islamiques ont augmenté rapidement depuis ces deux dernières années.
IIIi) Les financements à long terme
Mudharaba : c’est un contrat entre une institution financière et une entreprise. La première agissant comme bailleur de fonds « commanditaire ou rab al mal» et la seconde comme manager « commandité ou Mudharib», pour investir dans une activité ou une classe d’actif prédéterminée qui profite selon un pourcentage déterminé à l’avance entre les deux parties du contrat au moment de l’investissement. Le Mudharib ne supporte pas les pertes. Dans ce type de contrat la perte financière incombe au pourvoyeur de fond. Le Mudharib ne perd que le fruit de son travail et le temps qu’il a passé à investir dans l’entreprise. Il ne touche aucun salaire car il est considéré comme un véritable partenaire, sa rémunération étant le partage de profits générés par sa recherche d’investissement.
Musharaka ou partenaire actif : Dans ce contrat il existe deux ou plusieurs parties qui participent au financement d’un projet d’investissement. Il consiste en le partage des profits mais aussi des pertes. Solidairement les contractants acceptent le risque du partage des pertes dues aux aléas incertains de l’avenir (gharar). Il existe d’autres sous contrat à ces Musharaka :
a) La Musharaka continue : Les parties en tant que partenaires entre une institution financière et une ou plusieurs entreprises, dès le début, acceptent de mener ensembles le projet jusqu’au terme du contrat. L’entreprise supporte, s’il y a perte, une part proportionnelle du capital investi. Le pourvoyeur (la banque) est tout aussi responsable, il est directement impliqué dans sa gestion du projet.
b) La Musharaka dégressive : Ce contrat évite que la banque reste indéfiniment partenaire avec tous les clients car son rôle d’intermédiaire financier conssent à vendre sa part après une période donnée. La banque promeut ainsi l’investissement des entrepreneurs et leur vient en aide. L’investisseur acquière la part au moment où le projet génère un cash-flow suffisant et la banque récupérera ses fonds pour financer d’autres projets, en minimisant son « business risk ». Le client récupérera un maximum de profit qui pourra être ainsi coté sur le marché financier. Même si l’institution financière se retire au moment de la maturité du projet, le système financier islamique lui permet de compenser le manque à gagner de la Musharaka dégressive et de financer ses propres projets dans lesquels elle profitera de la totalité des gains. C’est « l’investissement direct », si les moyens lui permettent, elle n’aura besoin d’aucun intermédiaire. C’est le cas des banques dans le Golfe qui investissent dans le secteur de l’immobilier. Le « Kuwait Finance House », s’est doté de moyens humains et matériels considérables, pour investir dans le plus grand centre commercial, en plein centre de la Capitale koweitienne.
Dans le cas ou le partage du profit ne peut se faire comme pour les crédits à la consommation ou le financement du fond de roulement, les banques proposent d’autres services de financement comme l’Ijara, la Murabaha, le Baï as-Salam, le Baï’ al Tadjil, le Qard al Hassan etc.
IIIii) Les Financements à moyen terme
L’Ijara : C’est un contrat d’achat par lequel une institution financière achète un équipement ou une propriété et le loue en crédit-bail à une entreprise. On peut le traduire par financement de location. La durée de cette location peut variée suivant la nature de l’objet et selon le besoin du client. La banque peut reprendre son bien et le mettre à la disposition d’un autre client. C’est une alternative aux prêts avec intérêt que les banques (aux méthodes capitalistes) traditionnelles mettent à disposition de leurs clients en prêt d’argent. En effet dans l’Ijara, on entre dans la catégorie du leasing conventionnel ou le crédit-bail.
L’institution financière n’avance pas d’argent, elle prête l’équipement au besoin du client qui paie régulièrement un loyer jusqu’au terme du contrat. Pour illustrer le cas de l’Ijara, on peut citer l’exemple d’un logement que la banque a construit pour en devenir propriétaire. Elle le mettra à disposition de son client. L’Ijara peut prendre la forme d’Ijara-Wa-Iktina ce qui veut dire crédit-bail avec promesse d’achat (par le client) à la fin du contrat. Dans l’exemple du logement, la banque n’a pas vocation d’être propriétaire indéfiniment mais a plutôt le rôle d’intermédiaire financier. Pour cette raison, elle utilisera cette autre forme de contrat que l’on peut rapprocher au crédit-bail ou encore au « hire purchase » pratiquée aux Etats-Unis. A la différence, la banque n’est pas autorisée à facturer des intérêts si le client manque à ses engagements de paiements. Mais le client paiera une somme supérieure à la somme allouée pour la location de l’Ijara simple. Au loyer s’ajoute l’annuité comprenant le prix payé par le client du bien loué dont il deviendra propriétaire. La troisième variante de l’Ijara est l’Ijara avec Musharaka décroissante. Ce contrat peut être utilisé pour l’achat d’immobilier. La part de l’institution financière dans le bien loué diminue avec les paiements de capital que le client effectue en sus du paiement des loyers. L’objectif étant, à terme, le transfert de propriété du bien vers le client.
Murabaha ou financement commerciale avec marge bénéficiaire : Plus particulièrement utilisé dans les opérations de commerce intérieur et extérieur. La banque achète les matières premières, des produits, marchandises ou équipements divers et les revend avec une marge bénéficiaire. Le paiement peut se faire au comptant mais le plus souvent il est à terme. Le client devient propriétaire de la marchandise seulement au moment où il a honoré toutes ses échéances. Le risque pour la banque est minimisé du fait que sa marge bénéficiaire est fixée d’avance et avec l’accord du client. Au contraire de l’intérêt bancaire qui varie en fonction du montant et du retard, dans le contrat Murabaha, la banque ne pourra pas majorer sa marge, en cas de non paiement du client, dans les délais prévus.
Le bien fondé de la banque islamique « n’écrase » pas le client en cas de difficulté car elle doit respecter le verset suivant « A qui est dans la gêne, sursis jusqu’à l’aisance »[10]. Pour les abus de non solvabilité du client, les banques peuvent leur refuser un nouveau financement et les enregistrer dans un système de communication intra-bancaire comme cela se fait déjà dans les banques des pays développés. Ainsi, le « mauvais client » se verra refuser un financement dans d’autres banques.
IIIiii) Les Financements à court terme
Baï bi-Tadjil ou vente à règlement différé : c’est un prêt à la consommation, ce contrat à la différence de celui de la Murabaha n’a pas de partage de résultats et ne peut se conclure qu’avec des particuliers. Le client demande à la banque d’acheter un bien déterminé qu’il s’engage à acheter à une échéance donnée.
Baï as-Salam : ou achat avec livraison différée : cas du client qui souhaite acquérir un bien qui n’existe pas dans le marché locale. Il donne l’argent à l’avance à la banque qui se chargera de lui acheter ; ce bien est échangeable en devise pour le remettre à son client (car la monnaie locale reste non convertible). La banque dans ce cas n’opère pas de financement mais octroie un service.
La vente à terme ou Salam est donc toute vente d’un produit fixant une livraison en différée mais payé d’avance. Normalement, selon la règle juridique, cette transaction est interdite parce que le produit rentre dans la catégorie du gharar (vente à risque) car le produit est non palpable en non identifiable au moment du contrat (cf chap. Ii). Mais cette vente a été acceptée par l’Istihsan que l’on traduit par préférence juridique[11]. En effet les juristes se réfèrent à la sunna prophétique qui l’a rendue licite car la pratique était répandue à Médine : « Celui qui pratique le Salam qu’il le fasse en fixant le poids, la mesure et l’échéance.»[12] en préférence à une autre tradition rapporté par le prophète Muhammed (sws) : «Ne vends pas ce que tu ne possèdes pas »[13]
Il existe dans la finance islamique le prêt à « taux 0 » qu’on appelle Al Qard al-Hassan : L’Islam permet le prêt d’argent à condition de ne recevoir aucun intérêt. C’est pour des raisons morales que le prêteur recourra à ce type de contrat. La récompense est d’ordre religieux. En effet, un Hadith du prophète indique que le prêt sans intérêt est rémunéré, dans l’au-delà, du même montant voire au-delà. L’Islam prévoit néanmoins que le prêteur exige un écrit et des garanties au débiteur.
L‘Istisna‘: c’est un contrat de fabrication d’un produit entre deux personnes. La commande est payée d’avance en totalité ou partiellement.. La règle générale l’interdit parce qu’elle rentre dans la catégorie non identifiable. Mais cette pratique transactionnelle des gens à travers les siècles est tellement répandue que les juristes ont jugé bon de la valider par préférence consensuelle (istihsan).
Pour résumer, lorsque la marge bancaire est générée par un produits ou un services (vente, location, participation ou fabrication), elle devient dès lors licite. Nous avons vu que les tentatives de certains pays musulmans pour instaurer la finance islamique s’est soldée par un échec pour cause de non rémunération du capital. Pour répondre à cette carence il a fallu transformer un système bancaire fondé sur le principe des intérêts en un système fondé sur le partage des profits et des pertes (PLS). Ce principe est à la base même de l’instauration du système financier islamique. C’est la voie pour un système équitable aussi bien pour le déposant que pour l’emprunteurs. Il est à noté que l’innovation de la finance islamiques et le succès de ce système, en conformité avec la Shari’a, ne sont pas dus uniquement à la crise pétrolière des années 70 ni à l’après 11 septembre 2001, (quand les capitaux du Moyen Orient ont été rapatriés vers leur pays d’origine). C’est grâce aux leçons tirées de l’histoire de la finance islamique, par l’expérience des pays comme le Pakistan, l’Iran mais particulièrement grâce à des pays comme la Malaisie et le Bahrein. Leur rôle ont été reconnus comme les chefs de file du secteur de la finance islamique contemporaine. Enfin la finance islamique doit encore son succès grâce à l’institutionnalisation des principes islamiques, dans les transactions financières et commerciales entre les individus par un certain nombre de principes conforme à la législation islamique.
Malgré le dynamisme des banques islamiques, l’état actuel de la pensée économique islamique reste encore faible pour soutenir toutes les implications théoriques que comprennent les mises en pratique des principes de la Shari’a. En effet les banques islamiques « souffrent d’une sous-utilisation des fonds collectés. Le choix d’une stratégie d’investissement s’impose ». Les banquiers doivent acquérir les compétences nécessaires pour investir les fonds collectés. En effet les banquiers sont frileux d’accorder les besoins de financement à long terme aux entreprises. Ils favorisent alors les opérations les moins risquées donc à cours terme qui ne favorisent pas la formation d’un capital national indispensable au développement économique. Les recours aux modes de financement de la Musharaka et de la Mudharaba sont encore trop insuffisants et freinent cette croissance économique. Le risque étant le discrédit de son système bancaire et menace jusqu’à l’existence par la « désintermédiation » de tout le circuit bancaire et financier.[14]
L’idée d’une monnaie islamique comme unité de valeur est tout aussi importante dans le développement de ce système financier. Toutes les voies sont étudiées pour permettre les remboursement du prêt Qard al-Hassan et des ventes à terme sont encore trop peu utilisés. Cette unité de valeur islamique serait en accord avec la Shari’a pour ne pas léser celui qui l’utilise parce qu’il y a un risque de fluctuations de la monnaie et de sa dévaluation.
Si l’on se réfère à Mohamed Boudjellal[15], il est capital qu’un effort considérable de théorisation soit fait pour le développement d’institutions financières. Il est possible que la crise actuelle et ses milliards d’euros injectés dans des grosses structures bancaires et industrielles pour tenter de sauver le cœur même de l’édifice financier à une mort lente et douloureuse, convaincra les économistes mondiaux à participer à cette théorisation. Penser une autre forme plus éthique de la finance à cause de cette « éventuelle » faillite de l’économie conventionnelle ? La crise économique mondiale, n’est-elle pas un signal fort pour repenser tout le système global ?
La finance islamique pourrait encore avoir de beaux jours devant elle si le défi est relevé. Là ou la politique musulmane a échouée, la finance, elle, la survit et perdure par la renaissance musulmane (nahda). En effet si l’on en croit les statistiques du nombre de Musulmans dans le monde qui compte entre 1,2 à 1,7 milliards, avec près de 25% de la population mondiale et 10 % du PIB mondiale, on comprendra la nécessité pour les banques conventionnelles et pour les gouvernements de prendre part à cette source de liquidité : c’est un marché potentiel de $4 Mds selon S&P dans le monde. En France, on compte 4 à 6 millions de musulmans.
Bibliographies :
Strategic plan for Islamic Banking Industry of Pakistan. State Bank of Pakistan. Site officiel de la Banque Central du Pakistan
Mohammed Boujemla : Le Système Bancaire Islamique, Aspects théoriques et pratiques. Ed. IIIT France.
Prospects of Islamic Finance in Pakistan (3rd Annual Asian : ISLAMIQUE BANKING & FINANCE organized by IIFM (International, Islamic Financial Market).
Thèse finale des M. Sc. In Business administration, June 2008, Auteurs : Muhammad Tahir et Muhammad Umar : Marketing Strategy for Islamic Banking Sector in Pakistan.
Site de l’AMS : www.ams-France.org
Dr Tahar Mahdi, Methodologie de la pensée juridique en islam, Règle normatives de droit musulman. Ed. Dar Al Kalemah.
[1] Le Monde diplomatique sept 2001
[2] Ushr : taxe agricole prévue dans la Shari’a qui diffère par les taux de ceux de la zakat
[3] Article 49 de la constitution iranienne de 1979 qui fut retardée à cause du gel des avoirs iraniens et de la guerre en Irak . On l’appliquera en 1983.
[4] ou Algazel, d’origine persane; né en 1058, mort en 1111. Juriste, exégète du Coran et des Hadith et philosophe.
[5] Ibn al Qayyim al Jawziya (1292-1350), théologien arabe, hanbalite, son maître était ibn Taymiyyah.
[6] Hadith Sahih de Muslim
[7] Coran : III : 75 et XII, 20. Monnaies d’échange au temps du prophète, le dinar ou le dirhram , la première signifiant l’or, la seconde l’argent. Ces deux métaux précieux ne perdaient pas de leur valeur car relativement stables. Les mines d’or étaient rares.
[8] p.3 du livre Le système bancaire islamique : Aspects théoriques et pratiques de l’auteur Mohammed Boujemla , dissertation, académiques. Editeur III France USA, 1998.
[9] Les Droits de tirage spéciaux (DTS, SDR en anglais pour Special Drawing Rights), sont un instrument monétaire international, créé par Fond Monétaire International pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres.
[10] Coran, sorate II, verset 280.
[11] L’Istihsan fait partie des sources secondaire du droit musulman, il y a des divergences entre les savants comme sources normatives.
[12] Bukhâry, salam, 2086 ; Muslim, musâqât, 3010
[13] Parole du Prophète adressé à Hakîm b. Hizâm, (Tirmidy, buyû‘, 1153 ; Nasâ’y, buyû‘, 4532).
[14]Le Système bancaire Islamique, Mohammed Boudjellal p157 et 158.
[15] Auteur de « le Système Bancaire Islamique », dissertation académique (1), éd. IIIT France.